L’eau de Javel : indispensable du ménage ?

Désinfectant puissant, l’eau de Javel est un incontournable de notre stock de produits ménagers depuis de nombreuses générations. En France, on estime que 7 ménages sur 10 l’utilisent. Et en période de Covid, les ventes se sont envolées : jusqu'à plus de 250 % au tout début de la pandémie ! Pour autant les usages que l’on lui réserve ne sont pas toujours les plus adaptés…

Un oxydant puissant né au 18ème siècle

Étudiée à la fin du 18ème siècle par le chimiste français Claude-Louis Berthollet, notamment en raison des propriétés blanchissantes du chlore découvert quelques années plus tôt, l’eau de Javel est une solution dont le principe actif repose sur les ions hypochlorites (ClO-).

Les travaux de Berthollet ayant débouché sur un procédé de blanchiment des toiles via une solution de chlorure et d'hypochlorite de potassium qu’il avait appelée « lessive de Berthollet », celle-ci prit le nom d’eau de Javel à la suite de la localisation de son premier site de production dans le village de Javel, désormais quartier du 15ème arrondissement de Paris. L'eau de Javel a rapidement connu un vif succès comme décolorant textile.

Près de 50 ans plus tard, en 1820, le pharmacien Antoine Germain Labarraque étudie les qualités désinfectantes des dérivés du chlore et des hypochlorites de potassium et de sodium. Il met au point ce qu’il appelle la « liqueur de Labarraque », une solution de chlorure et d'hypochlorite de sodium. En 1900, on distinguait l'hypochlorite de potassium (« eau de Javel ») et l'hypochlorite de sodium (« eau de Labarraque »). Plus tard, le procédé de fabrication a remplacé le potassium par le sodium, sans changement de nom. A partir de cette période, l'eau de Javel est alors couramment utilisée comme désinfectant et pour le traitement de l'eau potable.

De nos jours, l’eau de Javel désigne donc un composé d'hypochlorite de sodium (NaClO) en solution aqueuse avec du sel (NaCl). Pour les chimistes, il s’agit d’une solution « basique », dont le pH évolue autour de 12.

On la trouve sous différentes appellations selon sa teneur en chlore (source) :

• 2° chlorométriques : « eau de Labarraque » (principal composant du Dakin, un produit antiseptique)

• Entre 9,6° et 35° chlorométriques : « eau de Javel »

• > 40° chlorométriques : « extrait de Javel »

 Désinfectant, pas nettoyant

Désinfectant redoutable, l’eau de Javel est un biocide à large spectre : à la fois fongicide, sporicide, virucide et bactéricide. Autrement dit, elle a la capacité de tuer n’importe quel micro-organisme (y compris le coronavirus), ce qui en fait un produit de choix dans les sociétés de nettoyage industriel, le ménage domestique et même la restauration collective.

Grâce à son spectre microbien le plus large connu à ce jour, l’eau de Javel a été sélectionnée par la NASA en juillet 1969 pour désinfecter la fusée Apollo XI afin d’éviter une contamination éventuelle de la Terre par des germes inconnus en provenance de la Lune. (source)

Cependant, l’eau de Javel ne nettoie pas étant donné l’absence de tensio-actifs dans sa composition. Voilà pourquoi il est nécessaire de nettoyer avec du savon ou un détergent puis rincer à l’eau la surface que l’on souhaite désinfecter avant d’appliquer de l’eau de Javel.

Ses principales utilisations à la maison :

• Désinfection des sanitaires, sols, éviers

• Blanchiment du linge, élimination des taches tenaces sur des textiles en coton blanc

• Nettoyage des façades murales par élimination des dépôts verts : algues lichens, mousses

Le remède anti-moisissures

L'eau de Javel, aux propriétés antifongiques, vient à bout de tous les champignons, notamment les moisissures qui s’incrustent dans les espaces à fort taux d'humidité et/ou mal aérés. Les murs des salles d’eau, les parois et le rideau de la douche, la pièce où sèche le linge, le placard sous l’évier de la cuisine… sont potentiellement à risque. Lorsque les moisissures s’installent, il faut s'en débarrasser au plus vite pour éviter d’aggraver l’état du bâti et/ou des équipements mais aussi pour ne pas s’exposer à des affections respiratoires. L’eau de Javel suffit généralement pour en venir à bout en frottant simplement les surfaces contaminées.

Les effets sur la santé

Il suffit de lire l’étiquette pour bien avoir conscience que l’eau de Javel est un produit toxique et corrosif, dont les effets portent atteinte à la fois à la santé et à l’environnement.

Bien connue pour provoquer des brûlures sur la peau et les muqueuses (notamment les yeux) lors de la manipulation, l’eau de Javel peut aussi irriter les voies respiratoires en cas d’inhalation, et conduire à une dyspnée (manque de souffle, sensation d'étouffement) et une toux.

L’eau de Javel affecterait l'immunité chez les enfants régulièrement exposés à ses émanations. Selon une étude de 2015 menée en Espagne, Finlande et Pays-Bas, le nombre et la fréquence des infections ORL est plus élevé dans les foyers utilisant régulièrement l’eau de Javel comme nettoyant domestique. Ainsi, le risque d’attraper la grippe augmenterait de 20 % et celui d’avoir une amygdalite (inflammation bactérienne aiguë des amygdales) de 35 %, en tenant compte d'autres facteurs de risque tels que le tabagisme passif, l’éducation parentale ou la présence de spores de moisissures. Les chercheurs ont avancé deux raisons pour expliquer ces observations :

• Les propriétés irritantes des composés générés par l’eau de Javel peuvent endommager les parois des voies respiratoires et donc favoriser l’infection de la flore locale

• Les produits ménagers à base d’eau de Javel bloquent les réactions immunitaires de l’organisme

Cette étude a aussi montré que la quantité d'eau de Javel utilisée comme désinfectant domestique varie beaucoup selon les pays (72 % des ménages en Espagne et 7 % en Finlande).

La réaction de l’eau de Javel avec d’autres produits peut aussi accroître les risques liés à l’exposition, par la formation d’autres produits notamment des dérivés chlorés susceptibles de dégazer dans l’air :

• la réaction avec les substances azotées (matières organiques des canalisations, déjections animales, produits à base d’ammoniaque…) qui peut conduire à la formation de chloramines (irritantes pour les yeux)

• la réaction avec des produits acides (vinaigre, détartrant, jus de citron…) qui peut provoquer un violent dégagement gazeux de dichlore, très toxique et très irritant

Plus d’un quart des intoxications à domicile sont dues à des produits d’entretien, l’eau de Javel représentant à elle seule 40 % de ces accidents.

Si le recours à l’eau de Javel semble avoir fait un bond depuis le début de la crise liée au Covid-19, avec une hausse de 120% en magasin et 255% dans les drive au tout début de la pandémie (source), nettoyer régulièrement à l’eau de Javel peut perturber l’équilibre bactérien des habitations. De la même manière que pour les antibiotiques, les spécialistes alertent sur le développement et la résistance de certains germes pathogènes en cas d’utilisation excessive. En particulier, l’eau de Javel est à bannir lorsque l’on possède une fosse septique. En effet, cette dernière a besoin de recevoir régulièrement des bactéries pour bien fonctionner. Dans l’entretien de la fosse, on cherchera plutôt à conserver ces bactéries afin que la fosse ne se bouche pas et puisse perdurer, tout en assurant la destruction des matières qu’elle reçoit.

Les bons gestes

Dans un objectif de nettoyage, des alternatives naturelles existent et sont préférables tant qu'une désinfection radicale n'est pas justifiée : vinaigre blanc, savon noir, bicarbonate de soude...

L’eau de Javel est un désinfectant et doit être utilisée uniquement pour tuer les bactéries, les champignons et les virus. Son utilisation nécessite de suivre certaines précautions d’emploi. En ce qui concerne la qualité de l’air intérieur :

• Je conserve mon eau de Javel dans son emballage opaque, correctement fermé et au frais (elle se dégrade sous l’effet des UV solaires et de la chaleur)

• Je n’entrepose pas mon eau de Javel à proximité de produits oxydants ou acides

• Je respecte sa date limite d’utilisation

• Je ne la transvase pas dans le contenant d’un autre produit d’entretien ou d’un produit alimentaire

• J’utilise l’eau de Javel après nettoyage préalable à l’aide d’un produit détergent

• Je dilue l’eau de Javel dans l’eau froide et non dans l’eau chaude (pour garder son efficacité et limiter la formation de dérivés chlorés)

• Je ne mélange pas l’eau de Javel avec d’autres produits

• Je ne nettoie pas la litière de mon animal domestique à l’eau de Javel

• J’aère la pièce après utilisation

• En cas d’inhalation / En cas de mélange : j’aère et sors de la pièce, je respire de l’air frais. Si la respiration est affectée, j’appelle un centre antipoison, les services d’urgence ou un médecin

D’un point de vue sécurité, comme pour la plupart des produits d’entretien, on n’oubliera pas de la stocker hors de portée des enfants, porter des gants lors des manipulations, lire scrupuleusement la notice, respecter les doses…

En savoir plus

• Lire nos précédentes actus sur le thème du ménage :

• L’impact des produits d’entretien sur la qualité de l’air intérieur

• Les bons gestes pour un ménage respectueux de la qualité de l’air intérieur

• Les filtres HEPA de nos aspirateurs

• Parcourir le site de l’Association française des industries de la détergence, de l'entretien et des produits d'hygiène industrielle (AFISE) dédié à l’eau de Javel

• Lire l’article du Parisien sur l’action de l’eau de Javel sur le coronavirus